Dans le cadre de cette exposition, qui se veut d'abord rétrospective sur un parcours de trente ans, je propose une nouvelle série qui met en dialogue la peinture de chevalet et les nouvelles technologies de l'image, la vidéo numérique plus singulièrement. Cette démarche s'inscrit dans la continuité d'une de mes préoccupations vielles de vingt ans, à savoir, l'hybridation de procédés contemporains et traditionnels.

INTRUSIONS / EXCLUSIONS (suite)
« hors-champ et dans le champ »

« Le champ de vision du spectateur devient ce que l’artiste en fait.… » Stan Brakhage, Daybreak et White Eye (1957).

En 1957, deux ans après Reflections on Black , Brakhage réalise Daybreak et White Eye , deux films qui doivent être vus ensemble parce qu'ils traitent chacun d'une approche visuelle complémentaire: Daybreak puise dans les possibilités du montage; White Eye se concentre sur le mouvement de la caméra.

Ce procédé que je découvre lors de mon passage aux Arts Déco en 1985 m’a inspiré ce montage. Les « Intrusions/exclusions » que je développe depuis 2002 dans mon travail, sont dans le droit fil de mon approche plastique et esthétique, c’est-à-dire l’hybridation de deux pratiques : la peinture traditionnelle de chevalet (Beaux-Arts) et les nouvelles technologies de l’image, infographie, photographie et vidéo (Arts Déco).

Dans la démarche de Brakhage, l’élément qui a retenu mon attention est cette notion du hors-champ et dans le champ, très bien traitée par Katherine Jerkovic dans « La ponctuation du regard » (Janvier 1999).

Afficher simultanément plusieurs écrans avec des montages qui se croisent oblige le spectateur à balayer sans cesse du regard avec de brèves ponctuations. C’est ce va-et-vient visuel qui crée le hors champ, et dans le champ. Des fondus et des coupes brutes renforcés par le son et les bruitages sollicitent l’attention lorsque celle ci semble vouloir se concentrer sur un écran ou une scène.

C’est cet aspect précis que j’ai noté dans la démarche de Brakhage et qui m’a interpellé. Dès 2002 la série « INTRUSIONS / EXCLUSIONS » n’est autre que du hors champ, et dans le champ. Les images (photos argentiques ou infographie numériques) d’autres récupérées sur le net sont détournées de leurs contextes d’origine puis introduites en incrustation, dans des œuvres acryliques. Elles suscitent un appel ponctué du regard, une fenêtre hors champ, une invitation vers l’ailleurs. Elles s’imposent, s’invitent et réclament leur droit de cité, comme les événements de la vie que nous n’avons pas conviés. Nous ne sommes plus isolés, même dans la plus stricte intimité.

La télévision par câble ou satellite multi-chaînes, le téléphone portable, les SMS, la 3G, le net, les blogs, MSN et le chat, sont des hors champ qui clignotent en permanence, courtisent et déplacent notre attention. Produits de la mondialisation, ces progrès de la haute technologie nous éloignent de notre propre corps, notre environnement immédiat, notre patrimoine le plus précieux. A fortiori ce qui nous rassemblait jadis. Ce besoin de s’entendre, de s’écouter vraiment. Nous pratiquons un zapping permanent, qui va crescendo sur les valeurs fondamentales.

Richard-Viktor SAINSILY-CAYOL